David DIOP« J’essaie de ne pas analyser mon écriture pendant qu’elle s’opère »
Maître de conférences HDR en littérature du XVIIIe siècle à l’UPPA, auteur du remarquable roman Frère d’âme publié aux éditions du Seuil et finaliste des prix Goncourt, Médicis, Renaudot et Femina, David Diop évoque les passerelles entre recherche et littérature.
L’écriture romanesque est-elle immanquablement le destin de tout enseignant-chercheur en littérature ?
J’imagine qu’il existe autant de rapports à l’écriture de fiction poétique ou romanesque qu’il y a d’enseignants-chercheurs en littérature. Pour enseigner la littérature, il ne faut pas nécessairement être un écrivain, de même que pour enseigner les mathématiques, il n’est pas requis d’être l’inventeur d’un théorème. Les littéraires ou les mathématiciens – ou vice versa, car rien n’interdit à un mathématicien d’être poète – peuvent très bien écrire un poème ou un théorème sans nécessairement le rendre public. Mais le poids de la formation des enseignants-chercheurs supposant un rapport théorisant aux textes littéraires peut se révéler parfois inhibiteur dès lors qu’ils envisagent d’écrire une fiction pour la publier. Pour ma part, j’essaie de ne pas analyser mon écriture pendant qu’elle s’opère mais de la pratiquer sans le frein d’une réflexion sur son devoir-être.
Quelles sont les passerelles entre enseignement et écriture ? Je pense notamment au Prix Heptaméron de la Nouvelle que vous avez vous-même créé...
Nous avons créé, avec quelques collègues en 2011, le Prix Heptaméron de la Nouvelle pour attirer l’attention des futurs bacheliers sur notre département des lettres classiques et modernes à l’UPPA. L’activité d’écriture fictionnelle, qui est un plaisir, peut être une voie d’entrée dans les études littéraires pour de jeunes esprits. L’analyse des grands textes littéraires est moins abstraite quand on s’est essayé à la fabrique d’un texte de fiction. Nous proposons d’ailleurs depuis quelques années dans notre département des ateliers d’écriture qui font progresser nos étudiants de première année dans le principal exercice du littéraire qui est la dissertation. La notion, vague il est vrai, de qualité de style entre dans l’appréciation de tous les travaux universitaires jusqu’à la thèse. En lettres, comme dans les autres sciences humaines, l’art de bien dire fortifie l’argumentation
Comment vos travaux de recherche en littérature nourrissent-ils votre travail d’écriture ?
Travaillant actuellement sur les représentations européennes de l’Afrique et de l’Africain(e) aux 17e et 18e siècles, je suis sensible à la façon dont les Européens à travers leurs récits de voyage – genre à mi-chemin entre l’écrit savant et la fiction – ont construit des images de l’Afrique et des Africains. En me documentant sur les tirailleurs sénégalais de la Grande Guerre, je me suis rendu compte que ces images avaient été « exploitées » d’un côté par la propagande française et de l’autre par la propagande allemande. Dans Frère d’âme, j’ai voulu dé-jouer cette propagande sur les soldats ouest-africains qui faisaient d’eux, soit des sauvages sanguinaires, soit de grands enfants qu’il fallait civiliser.