2018-01 Les polars en disent long sur la société

Les polars en disent long sur la société

Spécialiste du roman noir espagnol au sein du Laboratoire langues, littératures et civilisations de l’Arc atlantique (LLCAA), Émilie Guyard passe aux aveux. Entretien en clair obscur.

 

Vos recherches sur le polar : vrai taf ou alibi ?

Un peu des deux. Ma spécialité est la littérature fantastique espagnole contem-poraine, mais j’ai toujours dévoré les polars. J’ai osé me dire un jour que cette lecture-plaisir pouvait devenir un objet de recherche. C’est une littérature très riche avec beaucoup de sous-genres : le roman d’énigme, né à la fin du XIXe siècle ; le roman noir, surgi des décombres de la crise de 29 aux États-Unis ; le roman à suspense, en vogue depuis les années 50... Pour mes recherches, je me concentre sur le roman noir espagnol, apparu tardivement à la fin du franquisme. Manuel Vázquez Montalbán a ouvert la voie avec son roman Tatouage paru en 1974.

 

Vous avez des billes pour accuser Franco d’avoir plombé le roman noir ?

Le roman noir est un genre contestataire qui ne peut exister que dans une démocratie dont il dénonce les dérives. Si le roman noir espagnol est justement si florissant aujourd’hui, c’est en partie en raison de la crise économique. Les polars en disent long sur la société. On trouve par exemple en ce moment en Espagne de plus en plus de romans portant une identité régionale. J’ai d’ailleurs organisé récemment à l’UPPA un colloque intitulé « Espaces urbains et grands espaces : cartographie du lien social dans le roman noir hispanique contemporain ». Le roman noir espagnol est-il toujours un roman de la ville ou bien assiste-t-on à son décentrement ?

Et votre complice Carlos Salem, c’est qui ?

Vous faites allusion à mes travaux dans le cadre de mon habilitation à diriger des recherches. Je m’intéresse en effet à cet auteur argentin qui vit depuis 30 ans en Espagne. Ce qui est fascinant chez lui, c’est qu’il fait exploser les limites du roman policier. Ses polars sont déjantés. Mais derrière l’humour et la légèreté, ses livres sont plus profonds qu’il n’y paraît. Carlos Salem observe l’Espagne avec son regard d’exilé et interroge la condition de l’homme au XXIe siècle. J’ai un seul conseil à donner, lisez son roman Allez-Simple !

> L’imaginaire social dans le roman noir espagnol et portugais du XXIe siècle, Binges : Orbis Tertius, 2017, 240 p.

 

emilie.guyard @ univ-pau.fr