Parution de "La famille connectée. De la surveillance parentale à la déconnexion des enfants" Par Jocelyn Lachance
Jocelyn Lachance est maître de conférence en sociologie à l’UPPA et membre du laboratoire Passages. Il travaille depuis dix ans sur l’adolescence. Il publie cette année l’ouvrage La famille connectée. De la surveillance parentale à la déconnexion des enfants.
A quel âge a-t-on son premier portable et quelles sont les raisons avancées par les parents pour en fournir un à leur enfant ?
L'âge d'acquisition du premier portable se situe environ à 11 ans et demi. Bien sûr, les parents savent que l'acquisition d'un téléphone permet à leurs enfants d'être plus facilement en contact avec leurs amis, mais la grande majorité reconnaisse que c'est d'abord et avant tout pour qu'ils puissent communiquer avec leurs enfants en permanence qu'il leur achète un téléphone personnel.
Qu'est-ce qu'une famille connectée ?
Une famille connectée se caractérise par un usage individualisé et collectif des technologies de l'information et de la communication. Concrètement, cela signifie que les membres de cette famille, parents et enfants, passent plus ou moins explicitement des "pactes de connexion" entre eux, c'est-à-dire qu'ils s'imposent mutuellement le devoir d'être joignable et de répondre aux appels et aux messages dans un temps plus ou moins court, en fonction des relations et des situations. Ils sont connectés entre eux et la distance physique ne signifie alors plus la même chose qu’auparavant...
Comment utilise-t-on son portable pour communiquer au sein de la famille ?
Les manières de communiquer au sein de la famille sont diversifiées et difficile d'en faire un inventaire complet. Par contre, on peut analyser les effets de cette connexion entre les membres de la famille. L'un de ces effets consiste dans la tentation des parents d'imposer à leurs enfants de nouvelles formes de surveillance ; donner des nouvelles plusieurs fois au cours d'une seule soirée, envoyer ou montrer ses photos, ou opter pour la géolocalisation de ses enfants... Dans mon livre, j'analyse comment les adolescents vivent ce contexte dans lequel leurs parents sont tentés de consulter leurs traces numériques, d'une part et de leur demander de donner des nouvelles régulièrement, d'autre part.
Il y a-t-il plusieurs profils de parents dans la gestion des portables et de leur enfant ?
Je préfère parler de tendances, ou encore de rappeler que les parents doivent désormais prendre position et donc faire des choix, lorsqu'ils se retrouvent dans des situations inédites. Ai-je le droit de vérifier le profil Instagram de mon enfant ? De le laisser se connecter dans sa chambre ? D'ouvrir un compte sur Snapchat alors qu'il n'a pas encore l'âge légal ? Dans ce contexte, certains parents vont matérialiser, en quelques sortes, leur désir de surveillance, qui est parfois porté par un grand sentiment d'incertitude. Je ne dirai donc pas qu'il existe des "profils de parents", mais qu'il existe des parents dont le sentiment d'insécurité va parfois (ou souvent) s'incarner dans un usage spécifique des traces numériques de leurs enfants et un usage tout aussi spécifique de la connexion à distance.
Comment trouver un équilibre entre surveillance et contrôle absolu ?
En fait, il semblerait que la logique applicable au respect de l'intimité des enfants et des ados n'aient pas vraiment changé à l'ère du numérique. Fouiller dans la chambre de son enfant pose surtout la question de ce qui motive ce choix. Lorsqu'un parent a des motifs raisonnables de s'inquiéter pour la sécurité de son enfant, ce type "d'intrusion" est tout à fait compréhensible. Par contre, dans certains cas, il n'est pas certain que ce soit ce doute raisonnable qui motive la surveillance. Il en va de même pour la surveillance des traces numériques...
Il y a-t-il des phénomènes de déconnexions ?
Francis Jauréguiberry a observé depuis longtemps des phénomènes de déconnexion chez des personnes qui étaient passées par des phases d'hyperconnexion. Nous avions observé la même chose lors de notre travail sur la déconnexion en voyage. Or, j'observe désormais que des tentatives de déconnexion apparaissent maintenant chez de jeunes adolescents, déjà conscients des dérives parfois engendrées par l'usage des TICs (technologie de l’information et de communication). Le problème est que la plupart de ces jeunes nous disent que leurs efforts ne sont pas reconnus ou perçus par leurs parents. Comme l'exemple d'une jeune fille qui nous raconte ceci : après avoir laissé les écrans de côté pendant plusieurs heures et s'être déconnectée des technologies pour un temps, elle retourne au salon où se trouve l'ordinateur familial. Au moment où elle se rebranche, ses parents lui disent : "bon tu te connectes encore !". Il semblerait que l'acte de se connecter soit plus facilement repérable que l'acte de déconnexion...
La famille connectée aux éditions Erès : https://www.editions-eres.com/ouvrage/4419/la-famille-connectee
Site internet de Passages : http://www.passages.cnrs.fr