Des robots pour maintenir les liens dans l'enseignement
À Mont-de-Marsan, au cœur du laboratoire Informatique de l’Université de Pau et des Pays de l’Adour (LIUPPA), Laurent Gallon, maître de conférences et chercheur en numérique éducative, travaille sur la robotique de téléprésence dans le domaine éducatif.
Mots-clés : continuité scolaire, absence, robot, téléprésence
Un robot de téléprésence, c’est quoi ?
Un robot de téléprésence est un système de visioconférence positionné sur un socle mobile. La partie visioconférence permet à la personne qui s’y connecte – ou pilote – d’apparaître sur l’écran qui constitue la tête du robot. Cela lui permet d’échanger oralement et visuellement avec les personnes à proximité, mais également de faire bouger le robot, grâce à la possibilité de piloter à distance le socle mobile. La personne acquiert ainsi une « vraie » présence physique et peut donc, à sa guise, se déplacer dans l’environnement via le robot, alors même qu’il est géographiquement éloigné de cet espace.
Cette possibilité de déplacer le robot à distance apporte une réelle plus-value pour les pilotes à distance. Dans une visioconférence classique, aussi appelée « Téléprésence 2D » [1], les interactions sont orales et visuelles, mais relativement limitées. En effet, dès qu’un « côté » de la visioconférence regroupe plusieurs personnes en présentiel, des interactions sociales (discussions en aparté par exemple) se mettent en place en dehors de la session de visioconférence, sans que l’autre côté puisse y participer. Pire encore, il est possible de couper le son, voire l’image, et ainsi d’« exclure » les autres personnes connectées de manière autoritaire et brutale. Il n’y a donc que très peu de liberté laissé aux participants. Tous ces points ont été largement expérimentés dans le milieu scolaire pendant la période du Covid-19, et ont montré que le lien social souffrait de cette forme d’échange.
Le robot de téléprésence est doté des mêmes caractéristiques mais possède en plus une incarnation physique de la personne, et ainsi, une liberté de mouvement dans l’espace physique du robot. Cela modifie considérablement les interactions possibles ! Grâce au robot, le pilote peut choisir de se déplacer pour participer à une discussion, se rapprocher pour mieux voir une action réalisée dans une partie de la salle (manipulation de travaux pratiques, par exemple), il peut volontairement « garder le dos tourné » quand on le sollicite pour marquer son désaccord, ou au contraire se retourner pour montrer son intérêt à une discussion. Il a donc une présence physique et sociale beaucoup plus importante que dans le cas d’une visioconférence.
Quels sont les domaines d’utilisation ?
Les robots de téléprésence sont rarement utilisés de manière massive. Ils sont plutôt employés en expérimentation, souvent dans le domaine de l’éducation où l’utilisation du robot peut être variée. Au tout début, le robot était plutôt exploité par des enseignants qui ne pouvaient se déplacer dans leur classe, comme dans les îles nordiques en hiver, ou encore, pour faire le lien entre des étudiants de pays différents. Puis, rapidement, l’utilisation pour les élèves empêchés, c’est-à-dire qui ne peuvent venir à l’école pour des raisons de santé ou de distance géographique, s’est imposée. C’est le cas de TED-i (Travailler Ensemble à Distance et en interaction), un programme mettant à disposition des robots pour les enfants hospitalisés ou maintenus à domicile durant un mois ou plus, et qui est, à ce jour, le projet déployant le nombre le plus important de robots au monde, avec pas moins de 4 000 unités. Laurent Gallon, qui a participé à différentes expérimentations de l’utilisation de robots de téléprésence en milieu scolaire, est notamment responsable de l’évaluation du dispositif TED-i.
Des robots aux apports pédagogiques et sociaux
L’impact social est l’apport majeur du robot de téléprésence [2]. En effet, il rompt l’isolement de l’élève malade en lui permettant de recouvrer, le temps de chaque session, une vie d’élève normal, grâce au lien avec le corps enseignant bien sûr, mais surtout avec ses camarades. Aussi, dans les premiers temps d’usage, ce ne sont pas tellement les apprentissages qui sont forcément ciblés, mais plutôt la conservation du lien social avec l’établissement scolaire et la préparation du retour de l’élève en classe, si ce retour est possible.
En revanche, plus la durée d’absence s’allonge, plus la question pédagogique devient prégnante. On se pose légitimement la question du retard que l’élève peut prendre sur le programme scolaire, car le robot en lui-même n’apporte aucune solution sur le plan des apprentissages. Il permet la présence à distance, mais n’a aucun effet sur le lien pédagogique entre enseignants et élèves. Pour cela, il est donc nécessaire de le coupler à d’autres outils numériques, plus spécialisés dans la partie pédagogique, comme le logiciel PRONOTE par exemple, permettant entre autres d’assurer le suivi et le rendu des devoirs, ou de tout autre application favorisant l’enseignement et les échanges à distance. Des solutions plus classiques, tels que les cours à domicile peuvent être mises en place, sans que l’enseignant ne se déplace de son établissement scolaire, en demandant simplement à l’élève de se connecter au robot quand il a un trou dans son emploi du temps, pour lui faire un cours particulier – l’outil robot facilite largement la mise en place de ces cours particuliers. Cependant, il est aussi indispensable que les enseignants adaptent leur pédagogie à l’élève à distance de la même manière qu’ils avaient dû le faire lors de la période du COVID-19, le confinement impliquant alors la nécessité pour eux de se former à ce type de pédagogie.
Il est à noter que le robot a une vertu : il oblige l’élève à respecter le rythme de sa classe, c’est-à-dire à assister aux cours aux horaires prévus, à préparer les devoirs en temps et en heure… Tout cela est extrêmement important d’un point de vue pédagogique et pour le rythme scolaire.
Quel intérêt pour la recherche ?
La recherche s’est intéressée assez rapidement à cet objet technologique singulier. Dans un premier temps, ce sont des aspects sociologiques et psychologiques qui ont été étudiés. Dans ses travaux réalisés lors de son doctorat, soutenu en 2018 à Lyon [3], Dorothée Furnon met en avant l’impact social évident du robot, mais surtout l’impact psychologique sur les élèves empêchés. Une étude récente réalisée par les médecins américains a montré que dans le cas d’une pathologie classique nécessitant une absence de plusieurs semaines, l’utilisation du robot pendant la période d’absence permettait de revenir en classe environ une semaine avant les élèves qui n’utilisaient pas le robot. Tout ceci grâce à la soif de retour en classe, et le fait que le lien social avec les camarades était conservé.
L’effet sur les apprentissages a été très peu étudié jusqu’à présent. À vrai dire, il y a peu d’études avec suffisamment de robots utilisés sur des temps très longs pour permettre d’avoir des retours scientifiquement prouvés sur ce point. Cependant, Dorothée Furnon a noté dans ses travaux qu’une incidence sur la métacognition était observable. En effet, le robot ne renvoie au pilote que peu de stimuli de l’espace distant, c’est-à-dire de la classe où ont lieu les cours (juste le son et l’image, et pas toujours de qualité optimale). L’élève doit donc être constamment concentré, et apprendre à mieux interpréter les éléments que le robot lui permet d’observer dans la classe, car il reçoit moins d’informations qu’en présentiel. On peut dire que l’élève doit optimiser l’utilisation de tout ce que le robot lui permet de recevoir : il apprend à apprendre avec un déficit d’informations par rapport au présentiel. Cet effort est assez intense et demande beaucoup de ressources à des élèves qui sont souvent en situation de fatigue avancée, due à leur situation de santé. C’est ce qui explique que parfois, il n’est pas possible pour l’élève de suivre la totalité de ses enseignements chaque jour, et qu’il faut faire un emploi du temps particulier, dans lequel on identifie plutôt les cours qui sont les plus importants pour lui, afin de ne pas trop l’épuiser.
Le troisième sujet de recherche porte sur les interactions possibles avec l’espace distant, et les stimuli en retour de cet espace. Plusieurs études récentes tentent de déterminer si le rajout de certains stimuli, issus de capteurs ajoutés sur le robot, permettrait d’avoir une perception encore plus importante de l’espace distant, et par la même d’augmenter le sentiment d’immersion. L’idée sous-jacente est que plus le sentiment d’immersion sera grand, plus la motivation à utiliser le robot sera grande, et plus l’impact social et l’impact pédagogique seront donc grands.
Chez ces robots sociaux, ni l’apparence ni le design ne sont laissés au hasard
Même si les modèles peuvent différer, le design des robots de téléprésence n’est pas aléatoire. Souvent de couleur noire ou grise, leur apparence épurée fait sens quand la tablette – la tête du robot – s’allume, et fait apparaître la vidéo du pilote à distance. Dès lors, on ne voit plus le corps du robot grâce à ses couleurs sombres, et on reste focalisé sur la tête. La priorité est donnée à la relation sociale entre la personne distante et les personnes présentes autour du robot, et le robot, en tant qu’outil, ne vient pas s’immiscer dans cette relation. Souvent plus petit que les personnes avec lesquelles il interagit, sa taille est elle aussi calculée pour ne pas donner l’impression de dominer et provoquer un sentiment de méfiance voire de peur. Le corps est fin, il n’y a pas de bras. Là encore, l’idée de laisser un sentiment de domination des humains sur le robot pour éviter tout sentiment de rejet dû à de la peur ou de la crainte. Enfin, la base mobile, la plus compacte possible pour ne pas trop empiéter lors des déplacements du robot, doit cependant être suffisamment large, pour assurer la stabilité de ce dernier, et accueillir ses batteries.
Grâce aux retours des utilisateurs, Laurent Gallon s’efforce de proposer différents moyens qui peuvent être mis en place afin d’optimiser les conditions d’utilisation des usagers, d’apporter des solutions contre les freins d’aspects techniques ou encore organisationnels, et ainsi, de préparer le retour en classe des petits utilisateurs de ces robots, très sociaux.
Pour citer cet article : DOI en cours d'obtention
Bibliographie
[1] BELL John, CAIN William, PETERSON Amy, CHENG Cui, « From 2D to Kubi to Doubles: Designs for Student Telepresence in Synchronous Hybrid Classrooms », International Journal of Designs for Learning, 2016, vol. 7, n° 7(3) [lien vers l’article].
[2] DUSSARPS Clément, LEHMANS Anne, GALLON Laurent, DUBERGEY Françoise, ABÉNIA Angel, « La présence à distance dans les pratiques enseignantes : le cas des robots de téléprésence », Éducation, Santé, Société, 2020, n° 6, p. 123-138 [lien vers l’article].
[3] FURNON Dorothée, Usage d’un robot de téléprésence en tant que technologie inclusive : quels enjeux pour l’enseignement traditionnel ? Thèse de doctorat inédite de l’Université Lumière Lyon 2, 2018 [lien vers l’article].