Retracer l'histoire de Buzet, ses vignes, et son château

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Retracer l'histoire de Buzet, ses vignes, et son château

Par Pierre Courroux et Laurent Jalabert (Laboratoire ITEM - Identités, Territoires, Expressions, Mobilités, UPPA) pour le texte et Plop & KanKr et Vincent Lefebvre pour les illustrations

En 2013, dans le cadre d’un programme de recherche du laboratoire ITEM de l’Université de Pau et des Pays de l’Adour sur l’histoire des « petits vignobles » (petit au sens de la taille et non de la réputation ou de la qualité des vins), un partenariat de recherche avec les Vignerons de Buzet a été mis en place dans le cadre de la chaire Histoire, Cultures et Patrimoines.

À cette époque, deux chercheurs de l’UPPA, Stéphane Le Bras, spécialiste de l’histoire de la viticulture française, aujourd’hui Maître de conférences à Clermont-Ferrand, et Laurent Jalabert, Professeur d’histoire contemporaine à l’UPPA, ont contacté Pierre Philippe, directeur de la Cave coopérative, pour travailler sur le vignoble de Buzet qui faisait partie des territoires sélectionnés pour l’étude.

Mots-clés : cave coopérative, histoire du vin, Buzet-sur-Baïse, patrimoine local, Gascogne

Pierre Philippe était en plein questionnement sur l’identité du vignoble et s’interrogeait sur l’histoire de celui-ci, mais aussi sur l’histoire de la Cave coopérative dont il avait pris la direction une dizaine d’années plus tôt. Persuadé que ce questionnement était nécessaire dans la gouvernance de l’entreprise, mais aussi pour son devenir, P. Philippe acceptait de signer un partenariat afin que les historiens palois puissent interroger l’histoire et le patrimoine de la Cave coopérative. Cette première coopération qui a commencé en 2014 et s’est étalée jusqu’en 2018, s’est alors construite autour de trois objectifs : classer des archives de la cave coopérative (classement partiel, compte tenu du volume) ; établir une histoire de la Cave ; constituer un inventaire sommaire du patrimoine lié à la viticulture au sein du vignoble par le recrutement d’une étudiante stagiaire du master patrimoine. Outre les rapports transmis régulièrement lors de la période, un ouvrage a été publié aux éditions Cairn sur l’histoire de la Cave coopérative.

De plus, la participation de la Cave coopérative au programme sur l’histoire des Petits vignobles a nourri l’ensemble d’une recherche sur le sujet ayant donné lieu à l’organisation de trois journées d’études à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour entre 2014 et 2017, et d’un colloque international en octobre 2018 à Pau pendant trois jours. Deux livres sur l’histoire des petits vignobles ont été publiés dont un primé par l’OIV (Organisation internationale du vin). En outre, Stéphane Le Bras a pu livrer toute une série de communications sur le vignoble dans des colloques ou même dans des revues scientifiques. En parallèle, les journaux d’entreprise (Petit Canard, etc.) ont été enrichis tout au long de la période par les travaux des historiens palois. Enfin, l’inventaire du patrimoine viticole avait mis en valeur l’importance du château dans le territoire. Cette coopération, selon le bilan établi en 2018, a donné satisfaction à tous et a permis d’embrayer sur un second volet. En 2018, les Vignerons de Buzet se portèrent acquéreurs du château de Buzet, mis en vente peu avant par ses derniers propriétaires, les héritiers Demangeat. Tout naturellement, ils se tournèrent vers le laboratoire ITEM de l’Université de Pau pour la mise en valeur de l’histoire d’un tel site. Un nouveau partenariat fut signé avec le soutien de l’Agence nationale de la recherche par le biais du Projet I-Site (Projet d’investissement d’Avenir 2) et E2S (Energie pour l’environnement), de l’UPPA.

Cette nouvelle collaboration s’inscrivait cette fois dans un ensemble bien plus large : le programme VitiREV de la région Nouvelle- Aquitaine, qui était conçu pour créer autour du château et de la viticulture un Laboratoire d’Innovation Territoriale (LIT), dont l’histoire n’était qu’une facette. Un sociologue, Milo Villain, fut recruté au sein du laboratoire TREE de l’UPPA pour analyser les verrous et les leviers comportementaux liés aux changements de pratique des viticulteurs, et plus particulièrement au passage à une agriculture biologique. Un historien, Pierre Courroux, fut engagé au sein d’ITEM pour retracer l’histoire du château et de ses seigneurs depuis le Moyen Âge, mais aussi des vignes de Buzet avant la coopérative, dans la continuité du partenariat initié en 2014.

Pour faire émerger ce passé oublié, il fallait tout d’abord exhumer les archives anciennes. L’histoire du château de Buzet est nourrie par des fonds assez exceptionnels pour un édifice du Lot-et-Garonne, tant en quantité qu’en variété. Si d’importants châteaux de la région, comme Nérac, n’ont conservé presque aucun document d’archives, on dispose ici d’un fonds privé, celui des Noailles, derniers châtelains de Buzet, qui ont habité dans le château jusqu’en 1931. Il est divisé entre les Archives nationales et celles de Corrèze. Ce dernier fonds n’est accessible que depuis 2005, aussi y trouve-t-on nombre de documents jusqu’à présent inédits. Grâce à ces archives, nous pouvons retracer l’histoire du château, de ses seigneurs et de l’ancien village devenu parc de manière assez suivie depuis le XIIIe siècle. Pour les compléter, nous avons sollicité d’autres fonds des archives départementales des Pyrénées-Atlantiques, qui conservent les documents des Albret pour la période médiévale, et ceux des archives départementales du Lot-et-Garonne, riches à partir du XVIIe siècle.

Une première phase du travail a consisté à mettre en valeur l’histoire du vignoble de Buzet, et plus particulièrement les vignes autrefois possédées par le château. Bien que moins connu que le vignoble de Bordeaux, celui de Buzet est aussi ancien. Nous l’avons montré en mettant en avant les premiers documents d’archives mentionnant des vignes, qui datent de l’an mil.

Ces premières vignes se partageaient entre les propriétés des moines du prieuré Sainte-Foy, non loin de l’actuel bourg, et celles du comte de Gascogne, qui dépendaient du château. Le seigneur du château jouait un rôle primordial dans la production et l’exportation du vin au Moyen Âge, fixant les prix ou interdisant la concurrence un mois par an.

Cela n’empêcha pas la région de Buzet d’être extrêmement productive : au début du xive siècle, les marchands de la zone correspondant peu ou prou à l’AOC Buzet exportaient en une année près de 80 000 hectolitres de vin vers l’Angleterre, chiffre énorme même comparé à la production actuelle ! Nous avons aussi mis en avant la réputation des vins blancs « pourris », des vins moelleux aux vendanges très tardives (jusqu’en janvier !), que l’on comparait au XVIIIe siècle avec les meilleurs vins doux espagnols.

Notre travail universitaire a aussi permis de « redécouvrir » un personnage-clé de l’histoire viticole de la région : Alfred de Noailles, qui fut châtelain de Buzet de 1852 à 1895. Gentleman agronome, Alfred modernisa à grands frais son domaine, mettant en place de nouvelles méthodes (fumage, sulfatage), introduisant de nouveaux cépages rouges (malbec, bouchalès, jurançon rouge, mauzac), et rationalisant les usages, dans une optique d’économie circulaire. Il tripla les surfaces dédiées à la vigne, fit du vin de Buzet un grand cru qui s’exportait à l’international, et réussit à contenir sur son domaine la terrible épidémie de phylloxéra qui ravageait toutes les vignes françaises. Il fut élu maire de Buzet et ses méthodes firent rapidement école. Pourtant, après sa mort, son domaine périclita prestement et sa mémoire fut rapidement oubliée. Avec l’accord de la Coopérative qui voit en Alfred un illustre prédécesseur qui sut s’adapter et moderniser son vignoble, nous avons mis en avant l’action de ce personnage haut en couleur, qui peut aussi symboliser l’excellence du vignoble du château. La mairie vient d’inaugurer une salle « Alfred de Noailles », preuve de l’engouement suscité par la redécouverte du personnage. Ce travail sur les vignes du château a aussi permis de cartographier des vignes anciennes et de déterminer qu’un peu plus de 7 ha de vignes encore actuellement exploitées par la Coopérative avaient autrefois produit du vin du château. Cela a permis la recréation d’une appellation « château de Buzet », qui est commercialisée depuis l’hiver dernier.

Outre l’histoire de la vigne, le château de Buzet est aussi un site patrimonial d’un grand intérêt, tant pour ses deux châteaux qui se font face que pour son parc, qui contient les ruines de l’ancien chef-lieu, le bourg du Haut-Buzet, et plusieurs fabriques du XVIIIe siècle, époque où le lieu était aménagé en jardin anglo-chinois. Les recherches sur les seigneurs de Buzet et l’histoire du site depuis le Xe siècle ont permis de mieux comprendre les différentes phases de construction et de destruction, et la fonction de nombreux bâtiments en ruine, qui étaient souvent associés à des fonctions erronées. La tour-refuge était en réalité le reste d’un second château, le vivier un réservoir, le pavillon de chasse un lieu de repos pour les viticulteurs… Tout cela va aboutir prochainement à la publication d’un livre qui résumera l’histoire du château et de son vin.

Les histoires hautes en couleur ont aussi permis une transmission mémorielle envers le grand public, dans une série de vidéos déjà mise en ligne, ainsi qu’à l’occasion des journées du patrimoine et des visites désormais régulières à la belle saison. Celles-ci sont assurées par Justine Friedrich, ancienne élève du Master 2 patrimoine à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour, et première salariée de l’association Château et fabriques de Buzet.

Et le partenariat entre l’Université et la Coopérative ne s’arrête pas là, puisque des fouilles sont actuellement planifiées par des archéologues de Pau sur le site du Haut-Buzet.

Elles devraient encore en révéler un peu plus sur ce site qui est semblable à un mille-feuille, où chaque couche d’étude révèle de nouvelles surprises. Enfin, dans le cadre des programmes de l’Université autour de la Science Ouverte, des projets sont en cours d’élaboration avec les Vignerons de Buzet et l’Association autour du château, avec notamment l’élaboration d’une BD.

 

Pour citer cet article : DOI en cours d'obtention

Cet article sera prochainement disponible dans HAL UPPA

Bibliographie

  1. LE BRAS Stéphane, « La création de la cave coopérative de Buzet-sur-Baïse dans les années 1950 : impératifs et enjeux de valorisation d’un petit vignoble aquitain », dans Marguerite Figeac-Monthus, Stéphanie Lachaud-Martin (dir.), Patrimoines viticoles. Les lieux et les objets de la vigne et du vin de l’Antiquité à nos jours, Bordeaux, Fédération Historique du Sud-Ouest, 2015, p. 229-242.

    JALABERT Laurent, LE BRAS Stéphane (dir.), Être petit dans l’univers vitivinicole. Études et échelles d’un atout, Pau, Cairn, 2019.

    COURROUX Pierre, « Un château dans la tourmente : Buzet-sur-Baïse (1930-années 1970) », Les amis du vieux Nérac, 2020, n° 57, p. 131‑171.

    COURROUX Pierre, JALABERT LAURENT, LE BRAS Stéphane, « Un château pour les vignerons de Buzet : où s’inscrire dans une longue histoire », dans Pierre Courroux, Laurent Jalabert, Stéphane Le Bras (dir.), Les vignerons de Buzet, une aventure collective, Pau, Cairn, 2020.

    COURROUX Pierre, « Buzet, aux origines d’un vignoble », Arcades, 2020, n° 28.

    COURROUX Pierre, Le château de Buzet. Sentinelle de l’Albret, à paraître.