Se comprendre sans parler la même langue ?
Louis, Simon, Mariana, Ana, Stella et Lucian sont étudiants dans les universités de l’Alliance UNITA. Ce semestre, ils ont eu la possibilité de partir en mobilité Erasmus courte, un programme appelé BIP « Blended Intensive Programme ». Une semaine au Portugal, pour découvrir l’Université et la ville de Beira, la culture et la langue portugaise, et développer des compétences en « Intercompréhension entre langues romanes ». L’objectif de cette mobilité ? Apprendre à communiquer en intercompréhension. Chacun s’exprime dans sa langue maternelle et fait l’effort de comprendre les autres.
Mots-clés : plurilinguisme,intercompréhension,apprentissage des langues,langues romanes
Le premier jour, les étudiants font connaissance, Simon explique ce qu’il étudie à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour : « moi, j’étudie les Lettres Classiques ». Lucian, qui n’a jamais appris le français, mais qui parle roumain, et un peu italien, comprend ce que dit Simon. En roumain la phrase serait très similaire : « j’étudie » se dit « studiez », « Lettres Classiques » se dit « Clasicii ». Ils se comprennent, puisque le français et le roumain sont des langues apparentées, et, tout comme le français, le portugais et l’italien, ainsi que de nombreuses langues régionales comme le catalan et l’occitan, elles appartiennent à la famille des langues romanes. Une vingtaine d’étudiants passeront cinq jours à communiquer grâce à l’intercompréhension, que ce soit en classe, au restaurant, dans les musées, et même dans les bars. Ils feront l’effort de se faire comprendre et de comprendre les autres, sans avoir à passer par une langue tierce.
UNITA et les langues romanes
Lorsque nos universités se sont regroupées en 2020 pour former l’Alliance Européenne UNITA, il a été décidé d’utiliser les langues romanes et l’intercompréhension (appelée également IC) comme moyen de communication afin de promouvoir la diversité linguistique de nos pays. Situées au Portugal, en Espagne, en France, en Italie et en Roumanie, l’un des points communs entre les universités de l’Alliance est l’utilisation de langues romanes. Prendre en compte les langues de chacun pour favoriser la mobilité, qu’elle soit physique ou virtuelle, et la communication au sein de l’Alliance, voilà une partie des objectifs d’UNITA. Pour les atteindre, des formations et des micro-accréditations sont mises en place afin de permettre aux étudiants, aux enseignants et au personnel de l’Université de développer les compétences nécessaires à la pratique de l’intercompréhension.
Cos’é l’intercomprensione ?
F.-J. Meissner la définissait comme « la capacité de comprendre une langue étrangère sur la base d’une autre langue sans l’avoir apprise » (2004 : 31). L’IC peut se faire entre langues d’une même famille (les langues romanes, germaniques, slaves, scandinaves) ou entre langues de familles distinctes.
Plusieurs perspectives de définitions sont données à l’IC. La première décrit une manière de dialoguer, pratiquée depuis des siècles et qui consiste à se comprendre de manière réciproque entre locuteurs de langues différentes. La deuxième propose un ensemble de stratégies de communication qui permettent de développer des compétences en réception et en interaction assez rapidement, et de favoriser l’auto-apprentissage. La dernière, plus récente, s’intéresse à la didactique de l’intercompréhension. Apparue à la fin du XXe siècle, cette approche permet de développer plus rapidement les compétences en intercompréhension réceptive et interactive, écrite et orale. Il faut souligner que dans une situation de communication en intercompréhension, les locuteurs n’ont pas à s’exprimer dans une langue étrangère, mais uniquement dans leur langue maternelle ou de référence. La production en langue étrangère est effectivement une compétence plus difficile à acquérir que la compétence réceptive.
Une formation en intercompréhension ne remplace pas une formation en langue étrangère, mais vient en complément. Elle apporte l’ouverture d’esprit et la curiosité, désinhibe et motive l’apprenant face aux nouvelles langues avec lesquelles il entre en contact, puisqu’elle amène à se focaliser sur les ressemblances, les transparences et apprend à gérer l’opacité. Cette perspective crée une situation de sécurité, de confiance en soi, sans blocage.
Les avantages de l’intercompréhension
Sur le plan politique, l’intercompréhension répond parfaitement à la volonté de promouvoir la diversité linguistique et le plurilinguisme prônés par le Conseil de l’Europe et la Commission européenne. L’IC positionne toutes les langues sur un pied d’égalité, il n’y a pas de hiérarchie et le statut de lingua franca n’est accordé à aucune langue en particulier.
Sur le plan psychologique, la flexibilité et l’adaptabilité mentale sont accrues face aux différentes situations de communication. Bien que l’intercompréhension soit un processus naturel, le cerveau doit faire un peu de gymnastique : afin de comprendre un message codé dans une autre langue, il est nécessaire d’aller puiser dans nos ressources cognitives.
L’IC amène aussi à développer nos capacités à résoudre des problèmes. Analyser et cataloguer les informations, traiter toutes les alternatives qui se présentent, planifier une action et résoudre une tâche, tout cela menant vers l’autonomie de l’apprenant et de l’utilisateur.
Enfin, elle permet d’accroître la capacité métalinguistique, c’est-à-dire la réflexion sur le fonctionnement des langues : observer les structures lexicales et grammaticales, les différences et les similitudes, ce qui permet de faciliter la compréhension des langues étrangères et de prendre conscience du fonctionnement de notre propre langue.
Principes et fonctionnements de l’intercompréhension
Le continuum linguistique est un élément clé de l’intercompréhension, car plus les langues sont apparentées, plus il est facile pour les locuteurs de comprendre la langue de l’autre, car elles présentent des similitudes grammaticales et lexicales qui facilitent la compréhension. Les langues romanes ont des origines communes et partagent donc de nombreuses similitudes grammaticales et lexicales. Les locuteurs romanophones ont donc une facilité accrue à se comprendre entre eux lorsqu’ils communiquent, utilisant chacun leur langue maternelle.
Les connaissances antérieures, encyclopédiques et linguistiques vont également aider les locuteurs à se comprendre. Chacun possède un bagage linguistique, que ce soit la connaissance de la langue maternelle ou d’une ou plusieurs langues étrangères, qui permettent de faire des ponts entre les langues. L’important est d’en prendre conscience et d’apprendre à aller puiser dans ces ressources, qui seront différentes d’un utilisateur à l’autre.
Le transfert est une notion importante : c’est l’influence que la langue maternelle ou une langue apprise précédemment peut avoir sur l’apprentissage de nouvelles langues. Plus les langues sont proches et plus ce transfert est important. Ce transfert peut être positif ou négatif (dans ce cas, on parle aussi d’interférence), mais en intercompréhension, on parle de transfert positif, qui aide à la compréhension de la langue.
Les stratégies d’apprentissage sont les actions que l’apprenant pourra mettre en place pour favoriser son apprentissage. Ces stratégies l’aideront à résoudre des problèmes rencontrés ou à atteindre des objectifs lors de la lecture d’un texte écrit dans une langue qu’il ne connaît pas, lors de l’écoute d’un document audio, ou d’une interaction avec des locuteurs de langues différentes.
Un dernier principe important en intercompréhension est celui du droit à l’approximation. En fonction du contexte et des objectifs fixés par le ou les locuteurs, le degré de précision pourra varier et être adapté à la situation. Ainsi, la compréhension et la communication ne sont pas freinées, les difficultés sont contournées afin de ne pas créer de blocages. Le locuteur se sent en sécurité.
Utiliser l’intercompréhension, c’est promouvoir « Una Europa di poliglotti non è una Europa di persone che parlano correntemente molte lingue, ma nel migliore dei casi di persone che possono incontrarsi parlando ciascuno la propria lingua e intendendo quella dell’altro”, che pure non saprebbero parlare in modo fluente, e intendendola, sia pure a fatica, intendessero il “genio”, l’universo culturale che ciascuno esprime parlando la lingua dei propri avi e della propria tradizione. » (Eco, 2000 : 19).
Pour citer cet article : DOI en cours d'obtention
Bibliographie
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